Résumé :
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A l’issue de ce travail, nous avons le sentiment d’avoir approché la plupart des thèmes ayant un rapport à l’interculturalité dans les deux romans de Mouloud Feraoun ciblés par la recherche, en l’occurrence La terre et le sang et les chemins qui monte. Cependant, nous estimons que nous n’avons pas répondu à toutes les interrogations que nous nous sommes posées au début de ce travail. Ce que nous essayerons de réaliser dans nos futurs travaux. Devant la nature problématique et complexe du concept de l’interculturalité, dans l’absence de définition(s) due à sa nouveauté, et devant la sensibilité des circonstances historiques durant lesquelles est née la littérature maghrébine de langue française, la tentative de situer l’œuvre de Feraoun dans les alentours de l’interculturel n’est autre qu’une aventure dont les conséquences dépendraient surtout des convictions idéologiques du chercheur. A cela s’ajoute l’ambiguïté narrative car ici et là, il s’agit d’une trame narrative où l’intrigue se fait autour de trois accidents mortels desquels le narrateur, normalement omniscient, a pris une certaine distanciation de façon à perturber l’esprit du lecteur. La complexité de la tâche provient de la nature ambiguë et subjective de tout un champ de concepts opératoires ayant trait à l’interculturalité : les définitions qu’on attribue à la culture, l’identité, la société, l’aliénation… dépendent souvent du milieu socioculturel et de l’arrière-plan politique et idéologique de celui qui les donne. Dans le cas de Feraoun, les interactions culturelles et inter-sociales se passent dans des circonstances historiques particulières. Il s’agit de deux situations strictement inéquivalentes, voire opposées. L’avantage de l’hégémonie est du côté de l’Autre. Reste au dominé à faire un choix difficile : S’assimiler ou résister en ayant comme appui son attachement à ses origines et à sa culture submergée. Notre recherche nous a permis de voir de près la vision de Mouloud Feraoun sur les rapports dominant/dominé. En ce qui concerne la religion, l’auteur manifeste ouvertement son esprit laïc. Il considère la laïcité comme seul moyen pouvant garantir l’entente et la paix entre les peuples. Tout au long de l’œuvre, l’auteur ne s’est pas référé une seule fois à l’Islam comme religion. Il n’a condamné aucun comportement abusif à son encontre. Cependant il ne le nie pas comme réalité sociale. Concernant l’enracinement identitaire et culturel, Feraoun manifeste une ferveur acharnée vis-à-vis de l’attachement à son origine, à sa société et sa culture. Cependant, l’auteur reconnaît explicitement le besoin insistant d’aller à la rencontre de l’Autre dans l’objectif de rattraper le retard civilisationnel en reconnaissant implicitement un certain apport positif du colonialisme. Au demeurant, l’auteur reproche aux Français l’écart existant entre les slogans de leur « Mission civilisatrice » et leurs comportements « racistes » à l’égard des colonisés. Si on admet que la mère ou la femme française est une métaphore à la langue, Feraoun soulève le drame de l’aliénation auquel est confronté l’intellectuel algérien ayant puisé dans les sources de la culture occidentale. Il semble leur dire : nous sommes devenus les esclaves de l’esprit scientifique, de la raison occidentale et du positivisme tandis que vous gardiez les mêmes préjugés, les mêmes stéréotypes ; où sont vos valeurs universelles ? Où est votre liberté, votre égalité, votre fraternité ? Les rapprochements interculturels doivent être basés sur les fondements de justice, d’humanisme, de la reconnaissance de la différence comme élément de diversité et non de conflit. Le mérite que doit être reconnu à Feraoun est, surtout, son témoignage fidèle et réel pour sa société et son pays et d’avoir donné naissance à l’action de se retourner vers soi-même, une attitude jusqu’alors, inexistante. Il a prouvé que la littérature est l’un des domaines les plus fiables où peuvent être conservées les cultures, l’histoire, l’ethnographie… Ce qui fait d’elle une référence pouvant contribuer à la compréhension d’un phénomène culturel, social, historique… Une bonne partie de l’histoire de l’Algérie du vingtième siècle pourrait être restituée à partir de l’œuvre de Feraoun. Ainsi, a-t-il prouvé que la littérature est la mémoire de l’histoire. En ce qui concerne la problématique de notre recherche (hégémonie ou assimilation), nous avons constaté que Mouloud Feraoun était un homme de conscience et de conviction. La mise en diachronie de toutes ses œuvres permet à l’observateur de constater que les convictions de Feraoun changeaient et mûrissaient au fur et à mesure qu’il grandissait et apprenait plus sur la réalité des Algériens et des Français.
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